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Pour revenir sur les attentats

Je voudrais revenir sur les attentats qui ont frappé durement notre pays récemment, le dernier en date étant celui de Saint-Etienne du Rouvray. Ces deux derniers nous ont blessés durement par leur imprévisibilité d’une part et comme les précédents par les cibles et les lieux frappés.

Comme vous toutes et vous tous, j’ai cherché des explications, j’ai regardé avec horreur ces événements et j’ai partagé les prises de positions de la ligue nationale.

Néanmoins, je voudrais vous soumettre quelques analyses qui pourront nous aider à compléter notre réflexion sur ces événements.

Comme le dit le sociologue Gérôme TRUC, auteur de Sidérations-une sociologie des attentats, « la sidération nous a saisi à chaque attentat, mais cette fois, elle est plus intense encore. C’est la première fois que des attentats d’envergure frappent la France de façon aussi rapprochée. Des enquêtes sociologiques ont montré qu’une société a besoin de six à neuf mois pour chasser l’inquiétude diffuse et passer à autre chose. Neuf mois, c’est le temps qu’il a fallu aux Américains, après le 11 septembre 2001, pour décrocher la plupart des drapeaux à leurs fenêtres. Or, en France, entre Charlie Hebdo, le 13 novembre et Nice (en ajoutant depuis St Etienne du Rouvray), nous avons à peine disposé de ce laps de temps pour revenir à la normale.

Le mécanisme de la sidération face à un attentat est toujours le même, mais chaque événement est singulier. L’attentat contre Charlie Hebdo a suscité une indignation très forte : on avait tué des journalistes, sur notre territoire, dans une rédaction. C’est parce que les Français y ont vu une attaque contre des valeurs aussi fondamentales que la liberté d’expression et la démocratie qu’ils ont été aussi nombreux dans la rue. Les massacres du 13 novembre 2015 sont d’une autre nature ; on avait abattu des hommes et des femmes à la kalachnikov dans divers lieux de Paris, c’était terrifiant ! Les Français ont de nouveau éprouvé le besoin de se recueillir ensemble, de déposer des bougies et des messages. Avec l’attentat de Nice, ils découvrent que les terroristes ne visent pas seulement des journalistes, des policiers, des Juifs et des Parisiens à la terrasse de café ou dans des salles de concert, ils frappent à l’aveugle des familles, en province et ils tuent des enfants !

Daesch a développé une stratégie qui consiste à lancer des appels au meurtre sur Internet : “pas la peine de chercher des armes, prenez votre voiture et écrasez des gens“.

La vraie question, qui revient à chaque attentat, c’est celle-ci : faut-il montrer les morts, le sang, les survivants sous le choc ? Aux Etats-Unis, on ne montre pas les cadavres. En Espagne, c’est tout l’inverse. On cultive une esthétique de la souffrance. Donner à voir est une stratégie à double tranchant : cela peut attiser la colère contre les terroristes ou se retourner contre le pouvoir en place qui ne protégerait pas suffisamment ses citoyens.  Que doit-on montrer ? »

Pour Richard REITMAN psychiatre et anthropologue, « les réactions de nombreux médias et de la classe politique sont exactement celles que pouvait espérer Daesch. L’attentat de Nice n’est pas l’acte d’un psychopathe car l’action de celui-ci est caractérisé par l’immédiateté et l’impulsivité et non pas par la préparation méthodique des jours à l’avance. Cet attentat s’apparente plus à des meurtres de type génocidaire, c’est-à-dire tuer le plus de gens possible avec le minimum de moyens. S’attaquer à des personnes sans défense, qui ne peuvent ni parer les coups, ni répondre. Des victimes innocentes qui n’ont aucune raison de se méfier, aucune raison de réagir. Avec Daesch, il y a plutôt une volonté de tuer en masse tous les impurs, en Occident comme dans les pays musulmans. Le symbolisme du meurtre s’efface au profit du chiffre. Ils ont donc besoin d’une très grande publicité autour de leurs crimes. Ils ont besoin de nos canaux de diffusion pour donner l’ampleur qu’ils souhaitent à leurs actions. Cela veut dire que les informations dont nous disposons sur l’identité des auteurs d’attentats devraient être tenues secrètes quand ces crimes ont déjà eu lieu. L’homme qui a brisé tant de vies à Nice s’est préparé pendant plusieurs mois à ce moment glorieux –et non religieux. En offrant une tribune exceptionnelle à ce fantasme, les politiques et les médias créent le terreau nécessaire à la naissance de dizaines d’autres candidats à la gloire. Rendre impossible l’identification des assassins est une façon de faire que personne ne puisse s’identifier à eux. Que celui qui souhaite mourir avec la gloire sache qu’il mourra dans l’anonymat le plus total.

Que pouvons-nous faire, nous, citoyen(ne)s et militant(e)s de la Ligue de l’enseignement ?

Certainement pas nous habituer à ces actions inhumaines car on ne pourra jamais s’y habituer. Mais nous pouvons, nous devons, au-delà de l’émotion légitime et naturelle car elle prouve notre humanité prendre le temps de la réflexion afin de rendre nos actions plus efficientes.

Comme militants, bénévoles ou professionnels de la Ligue de l’enseignement, nous devons poursuivre sans relâche l’action entreprise pour éduquer à la démocratie, informer sur l’importance de préserver les droits de l’homme, convaincre sur la nécessité de la laïcité comme garantie du « vivre-ensemble ».

Notre fédération n’aura de cesse d’agir dans tous les territoires pour proposer des projets, des actions de lutte contre toutes les formes de discriminations. Elle pourra s’appuyer sans nul doute sur réseau associatif dense qu’il soit socio-culturel ou sportif (USEP, UFOLEP) pour toucher le plus large public.

Nous savons pouvoir compter sur nos juniors associations, nos volontaires en service civique, nos formateurs et stagiaires BAFA-BAFD, nos animateurs de centre de loisirs, nos jeunes sportifs afin de lutter contre une certaine forme de fatalisme. L’engagement de la jeunesse est fondamental pour installer une citoyenneté active dans le respect des principes de laïcité qui vise l’épanouissement et l’émancipation de chaque individu.

Jean-Pierre DELCAMBRE
Président de la Ligue de l’enseignement – Fédération du Nord