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Pauvreté et Education

« Exception consolante » est le titre de l’ouvrage dans lequel notre ami Jean-Paul Delahaye relate son histoire personnelle qui l’aura vu nettoyer les globes (luminaires) et les vitres des classes de son école primaire pour donner un coup de main à sa maman alors qu’il n’avait que 13 ans.

Il décrit, en parallèle de cette histoire, son arrivée au ministère de l’éducation nationale en tant que conseiller de Vincent Peillon, avant l’apogée de sa carrière comme Directeur Général de l’Enseignement Scolaire.

Le titre est emprunté à Ferdinand Buisson, lui-même illustre militant de la Ligue de l’Enseignement, qui avait qualifié ainsi les rares élèves boursiers qui venaient contredire la reproduction sociale. C’est ainsi que dès la fin du 19ième siècle s’est développée une critique de l’institution scolaire. Si celle-ci a offert la possibilité d’un « ascenseur social » pour quelques-uns, celui-ci n’aura été pris que par ces « exceptions consolantes » qui comme Jean-Paul Delahaye ont franchi la frontière de la pauvreté. Ce dépassement que Jean-Paul décrit parfaitement en citant le philosophe Alain qui parlait de ces « rois nés du peuple pour donner un air de justice à l’inégalité ».

Cette question d’une importance fondamentale pour notre état républicain mériterait un traitement médiatique plus important.

Alors que nous sommes à l’aube d’une élection présidentielle, les sujets qui agitent les médias sont « frontières et insécurité ». Les questions sociales sont encore une fois mises de côté. Ceci nous laisse prévoir à nouveau un score élevé de l’extrême droite.

Pourtant la réduction de la pauvreté est un enjeu vital, « l’espérance de vie est réduite de quinze ans quand on est dans la grande pauvreté » nous précisait Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD quart-monde, lors de notre université de rentrée.

Malgré cela, l’éducation est le meilleur moyen de lutter durablement contre l’insécurité. Développer encore plus la télésurveillance, augmenter le nombre de policiers, etc, nous ne remettons pas en question ces choix … Par contre, nous demandons une plus grande cohérence dans les moyens dédiés à l’éducation, soit un nombre d’enseignants, d’éducateurs et d’animateurs correspondant à une prise en charge de qualité et en lien avec le nombre d’enfants accueillis. Nous demandons aussi à ce que la communauté éducative dispose des moyens nécessaires et que son travail puisse être valorisé à la juste valeur de la plus-value qu’ils apportent à notre société.

Nous faisons donc le choix de traiter ces deux thématiques dès la rentrée lors de notre rencontre départementale de l’éducation qui se tiendra le 26 Janvier prochain à Lille.

Ce sera l’occasion de mieux appréhender ces difficultés sociales, plus fortes encore dans notre région, avec un million de personnes pauvres, soit un taux de 18,3%, un surendettement important avec des difficultés à payer les factures de chauffage, un taux de chômage supérieur de 2 points à la moyenne nationale et un taux d’illettrisme supérieur de 4 points, soit 11% en Hauts de France alors qu’en France il est de 7 %.

Il n’y a pas de fatalité. Les mesures prises par le gouvernement, le dédoublement des classes primaires en ZEP, une revalorisation du salaire des enseignants, qui reste l’un des plus bas en Europe, ne sont pas à la hauteur de l’enjeu, et la politique obsessionnelle d’évaluation n’ont pour objectif que de justifier le tri social et la reproduction des élites.

Le combat qui vise à dépasser la pauvreté dans notre pays, cinquième puissance économique mondiale avec un PIB de plus 2 300 Milliards d’euros pour un peu plus de 67 millions d’habitants, ne devrait pas exister. Il est tellement évident de solutionner cette question par une simple division mathématique, pour une répartition moins inégale.

Montaigne écrivait : « la pauvreté des biens est facile à guérir, la pauvreté de l’âme impossible », c’est certes vrai, mais pouvons-nous nous satisfaire de vivre dans une société qui laisse l’inégalité sévir et se reproduire quand nous avons les moyens de l’éradiquer ?

 

Bruno VERBEKEN
Président de la Ligue de l’enseignement du Nord