Skip links

édito special 2ème confinement #5 / Décembre 2020

Tous unis pour les 115 ans de la loi de 1905.

Une loi juste et parfaite. « Ce n’est pas parce qu’elle est loi qu’elle est juste, mais parce qu’elle est juste qu’elle doit être loi. »

C’est ainsi que Montesquieu rappelait que la loi est l’instrument principal de la justice, et qu’à ce titre elle est censée être vertueuse afin d’encadrer et faire évoluer une société. Si nombre de lois sont critiquables en leur sens pratique, celle de 1905 est construite dans des proportions qu’à la Ligue de l’Enseignement nous pourrions qualifier de justes et parfaites.

Justes, parce que le contenu de cette loi s’adresse à tous et garantit à chacun les mêmes droits quelles que soient les croyances, les doutes ou l’absence de croyance qui peuvent nous habiter. Elle ne s’adresse pas à quelqu’un en particulier mais considère chaque être humain comme un maillon de l’humanité que les religions ne peuvent, par essence, pas relier au-delà de l’identité propre qu’elles induisent. Ainsi, la loi de 1905 respecte toute opinion spirituelle et permet justement de dépasser le cadre de l’opinion pour rassembler les esprits autour du triptyque républicain.

Parfaites, parce que le contour ne peut pas être remis en cause. Elle sépare les pouvoirs et garantit qu’un traitement égal puisse être réalisé par les pouvoirs publics. Quel que soit le culte pratiqué, l’origine, le genre, l’orientation sexuelle …. Elle garantit ainsi la protection de la diversité qui peuple notre territoire. C’est donc la laïcité en tant que principe d’organisation cadré par la loi de 1905, que nous nous attachons à faire vivre pour donner force et vigueur à la République.

Si nous pouvons d’ores et déjà affirmer que la loi de 1905 cadre parfaitement les rapports que l’État doit entretenir avec l’expression des diversités, un arsenal législatif supplémentaire permet de réprimer tout comportement contraire à l’idéal républicain qui définit notre société comme libre, égale et fraternelle. Ainsi les lois de 1972 et de 1990 relatives au racisme, aux discriminations et à la xénophobie permettent de réprimer les comportements, les propos et les agissements déviants qui pourraient émaner d’intégristes religieux ou de groupes d’extrême droite. La loi de 1905 est donc le socle législatif qui garantit à la fois la liberté mais aussi un traitement égal des différentes sensibilités de notre société. Elle permet de nous rassembler toutes et tous dans un lieu commun dénommé République.

L’urgence d’une République sociale. Pour nous rassembler vraiment, Jean Jaurès avait exprimé en son temps que la seule condition pour que la laïcité soit effective est une République sociale. Pourtant, en France les inégalités se sont accrues au cours des dernières décennies à tel point que selon l’observatoire des inégalités « les Français les 10 % les plus aisés touchent 6,7 fois plus que les 10 % les plus pauvres. Aujourd’hui la France est, après la Suisse, le pays d’Europe où les riches sont les plus riches ». Nous parlons ici des seuls revenus car si l’on prend compte le patrimoine qui perpétue les inégalités on se rend compte que « le 1 % le plus fortuné de notre pays possède 17 % de l’ensemble du patrimoine des ménages et si l’on prend les 10 % les plus riches, c’est presque la moitié ». Ceci nous amène à observer un fait marquant dans notre société que certains qualifient de « sécession des riches » qui vont même jusqu’à investir massivement l’enseignement privé afin de préserver ce que l’on pourrait avec justesse qualifier de « distanciation sociale ». Faire vivre la laïcité, ce sera donc prendre en compte la nécessité de rendre notre système plus vertueux. Il faudra ainsi que la part la plus aisée de notre population accepte de cotiser un peu plus à l’impôt et que les bénéfices soient taxés davantage. Il faudra aussi qu’un vrai combat soit mené pour empêcher les 100 Milliards d’euros de fuir l’impôt français tous les ans. Nous aurions ainsi les moyens nécessaires pour lutter contre la désertification des services publics dans certains quartiers et donner les moyens à la vie associative et l’éducation populaire de s’y implanter favorisant ainsi l’accès à un parcours éducatif de qualité. Nous pourrions enfin créer la dynamique nécessaire permettant à chacun de croire aux vertus de la République par l’éducation et l’accès à un service public de proximité et de qualité.

Comme l’affirmait Jean Jaurès : « Arrêtons de parler d’égalité, il est temps de faire des égaux » !

Agir pour la laïcité. A notre niveau, nous n’avons pas tant de pouvoir de décision qui permettrait d’engager les nécessaires réformes, mais nous agissons au quotidien sur la prise en compte de chacun en égale dignité, sur la réduction des inégalités par l’accès à l’éducation, à la culture, aux vacances et aux loisirs. Nous créons des espaces d’éducation et de formation de l’esprit afin que chacun puisse appréhender le monde et ses limites. Nous travaillons aussi massivement à faire en sorte que les acteurs éducatifs et associatifs se réapproprient ce principe, notamment au cours de la semaine de la laïcité que nous mettons en place.

Pour la deuxième année consécutive nous rassemblons les acteurs de notre réseau dans la mise en œuvre d’actions autour de la laïcité. Cette année est certes particulière, mais l’engagement de notre réseau ne s’est pas essoufflé pour autant et nous comptons près de 200 actions mises en place pour que la laïcité soit appréhendée par les habitants de notre département comme un cadre qui « protège et émancipe tout à la fois ». C’est un chantier qui doit sans cesse être renouvelé. Si nous avions pu le croire acquis comme une évidence, les évènements douloureux vécus ces dernières années nous rappellent qu’il ne peut y avoir de relâchement. Il est nécessaire d’investir massivement les espaces d’éducation, les lieux culturels, les quartiers populaires. Il est nécessaire que les séjours de vacances ou les classes de découvertes restent des lieux de mixité et de vivre ensemble qui développent l’ouverture d’esprit.

L’éducation populaire coute cher ? Essayez l’ignorance … Tout cela implique des choix politiques clairs qu’il faut l’assumer. Alors que c’est dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville qu’il faudrait investir massivement, le désengagement de l’État et certaines collectivités prive les associations d’éducation populaire de moyens d’agir. Une loi qui réprime ne coûte rien il est vrai, seulement quelques débats et une image médiatique. Si elle permet de traiter les conséquences, les causes restent et demeurent. L’éducation nationale accompagnée par les mouvements d’éducation populaire peut agir sur les causes. Il est urgent de leur donner les moyens de s’implanter durablement dans les territoires où, peu à peu, l’idéal républicain s’éloigne.

Quel bel investissement pour le devenir du monde … Car à l’image de la personne pour laquelle on parle d’un esprit sain dans un corps sain, une planète saine sera nécessairement accompagnée d’un état d’esprit sain.

Bruno VERBEKEN
Président de la Fédération du Nord