« Vingt fois plus de chances d’être contrôlé quand on est un jeune homme noir ou arabe »
Cela se passe en France en 2017, c’est le retour d’une étude menée par le défenseur des droits. Ceux qui en sont victimes n’appelleront certainement pas cela une chance, tant le fait d’être présumé suspect par sa seule apparence est vexatoire, humiliant et inadmissible dans une république dont le 2ème élément du triptyque républicain est la fraternité.
Plutôt qu’une nouvelle loi sur le séparatisme, rebaptisée loi confortant les principes républicains, il serait temps non pas de les conforter, mais simplement de les faire vivre et respecter par tout un chacun et tout particulièrement par celles et ceux qui sont chargés de faire respecter la loi.
Comment notre jeunesse, et en particulier celle qui vit dans les quartiers qu’on dit par pudeur sensibles pour ne pas dire pauvres, peut-elle croire à l’égalité et la fraternité que prône notre république alors qu’un jeune noir ou arabe a vingt fois plus de chances d’être contrôlé comme le constate le défenseur des droits.
Comment peut-on accepter que, dans une émission de télévision, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin se livre à une surenchère démagogique avec la représentante de l’extrême droite, Marine le Pen, qui en arrive à confesser qu’elle pourrait signer son livre sur le séparatisme. Ce glissement dangereux contribue à dé-diaboliser voire banaliser l’extrême droite. Les sondages confirment ce danger en nous informant que 48 % des français la verrait l’emporter au second tour de la prochaine présidentielle.
Comme s’il n’y avait qu’un séparatisme, dont l’Islam en serait l’artisan, afin de s’attaquer à la laïcité. Mais ne confondons pas Islam et islamisme pas plus que nous ne confondons catholicisme et intégrisme. Si le fanatisme et le terrorisme islamiste constituent une réelle menace qu’il faut prendre au sérieux sans aucun angélisme, le séparatisme c’est aussi celui des plus riches qui vivent dans leurs quartiers protégés, qui s’exonèrent de l’impôt par le biais de l’évasion fiscale ou qui échappent à la carte scolaire en mettant leurs enfants dans le privé.
La question sociale, le séparatisme social sont une menace sérieuse pour la laïcité, la fraternité et bien sûr pour la cohésion de notre modèle républicain. Pour Jean Jaurès, le danger principal n’était pas les religions mais notre incapacité à répartir les fruits de notre richesse et ainsi à protéger les plus faibles. Il l’exprimait ainsi : « La République doit être laïque et sociale mais elle restera laïque parce qu’elle aura su être sociale ».
La laïcité et la fraternité ne peuvent s’accommoder, dans un pays comme le nôtre, que les plus riches deviennent encore plus riches, que les 20 entreprises du CAC 40 aient réalisé 175 milliards d’euros de bénéfices en 2020 et que, concomitamment, la pauvreté ait augmenté fragilisant encore plus les plus pauvres d’entre nous.
Nous sommes dans une situation explosive qui alimente le défi face aux institutions de la République. Soyons vigilants à ce que des actes irresponsables de contrôle au faciès, ou d’arrestations musclées, comme ce fut le cas avec le producteur noir Michel Zecler, ne viennent mettre le feu aux poudres.
Bien sûr, nous sommes conscients que ce sont des choix politiques courageux au long cours qui viendront à bout du terreau social générateur des peurs et des replis identitaires qui nourrissent le discours d’extrême droite.
Ce n’est pas pour autant qu’il faille attendre les bras croisés les solutions qui permettront de faire reculer les intolérances. Il nous faut agir au quotidien pour faire vivre le nécessaire principe de laïcité et cette valeur essentielle de fraternité qui permettent concrètement de changer les mentalités et les comportements.
C’est la raison même de l’engagement de la Ligue de l’enseignement. Cela passe par notre capacité à reconstruire des liens d’altérité et de fraternité et aussi à apporter des éclairages conséquents sur le monde qui nous entoure et son fonctionnement afin de produire de la connaissance.
C’est là le travail que doivent assumer toutes celles et tous ceux qui se revendiquent de l’éducation populaire, les républicains et les humanistes, tous camps confondus.
Ce travail constitue une urgence aggravée encore par la crise du Covid19. Une analyse des contenus publiés sur les réseaux sociaux a montré, à partir de l’utilisation de mots-clés, le lien entre discours complotistes, discours haineux et anti-minorités.
L’annonce du nouveau confinement le 14 octobre 2020 a, par exemple, généré des pics d’utilisation de mots-clés en lien avec les discours anti-arabe, anti-maghrébin, anti-asiatique, antimusulman et/ou anti-réfugiés.
Ces groupes y sont décrits comme les menaces principales qui touchent le pays.
L’analyse détaillée de ces quatre discours démontre par ailleurs une intersection claire entre leurs contenus haineux anti-minorités et la désinformation sur la Covid19, notamment les thèses anti-vaccins et anti-mesures sanitaires. Des contenus largement partagés présentent ainsi différentes communautés comme responsables de la pandémie, et le gouvernement français comme à l’origine de l’instauration d’une dictature dans le pays.
L’éducation populaire apporte un vaccin contre l’ignorance et la haine, elle forme des femmes et des hommes libres capables d’aimer.
La Ligue de l’Enseignement du Nord est implantée dans le département depuis presque 100 ans. Elle œuvre à faire que la fraternité ne soit pas qu’une valeur inscrite au fronton de nos mairies et nos écoles mais une réalité mise en œuvre dans nos actions quotidiennes.
C’est pourquoi nous avons initié un évènement départemental intitulé « Faîtes la Fraternité » qui est la vitrine visible de ce que nos partenaires, associations, collectivités publiques et milieux scolaires réalisent tout au long de l’année. Elle rassemblera cette année 130 actions menées par plus de 150 Partenaires au cours de la semaine du 15 au 22 Mars 2021.
Merci à toutes celles et ceux qui s’engagent à nos côtés pour faire vivre ce bel idéal trop souvent abimé.
Grâce à vous, nous rassemblons, nous accompagnons, nous formons à la fraternité pour faire nôtre le propos de Saint-Exupéry :” Une démocratie doit être une fraternité sinon c’est une imposture. “
Bruno VERBEKEN
Président de la Ligue de l’enseignement du Nord