Covid-19, pauvreté et pandémie : un mélange détonant
On le pressentait depuis le début, c’est désormais une évidence. Cette pandémie est d’abord et surtout une maladie qui touche encore plus durement les pauvres. Après le personnel soignant, en première ligne, ce sont en effet « les sans-grade », les caissières, les éboueurs, les aides à domicile, les femmes de ménage, les livreurs, tous les invisibles, les précaires, ceux dont les conditions de vie sont les plus difficiles, qui vont payer le plus lourd tribut au virus.
La propagation du COVID-19 à l’échelle de la planète est une véritable bombe à retardement. Selon une estimation de l’ONG Oxfam, la pandémie mondiale pourrait plonger plus de 500 millions de personnes dans la pauvreté. Dans un rapport publié le jeudi 9 avril, l’organisme humanitaire dresse un tableau très sombre de la situation à venir si les États ne mettent pas en œuvre rapidement une riposte adaptée et coordonnée à cette crise globale.
Les effets du coronavirus pourraient constituer un recul de dix ans dans la lutte contre la pauvreté, et voire 30 ans dans certaines régions comme en Afrique sub-saharienne, au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord.
Le coronavirus menace la planète d’un désastre économique sans précédent, jamais vu depuis 1929. Les économies des superpuissances s’effondrent. L’emblématique et immuable toute puissance américaine est balayée. 6,65 millions de nouvelles demandes d’allocations chômage en une semaine. C’est du jamais vu pour cette économie américaine, touchée de plein fouet par la propagation rapide de la pandémie. La réserve fédérale américaine évoque la destruction de 47 millions d’emplois, ce qui se traduirait par un taux de chômage de 32% aux États-Unis. En février, celui-ci n’était que de 3,5% …
Dans le reste du monde, parmi les régions les plus exposées l’Afrique, l’Asie de l’Est, le Pacifique et l’Asie du Sud. Dans ces régions, le manque d’établissements de santé et l’absence de tout système de protection sociale font craindre le pire. Phénomène supplémentaire dans ces zones du monde, le poids de l’économie informelle (non déclarée) peut atteindre des niveaux très importants. Difficilement quantifiable, mais estimé à près de 2 milliards, l’accompagnement par les États de ces travailleurs très pauvres et extrêmement précarisés s’avère irréalisable.
En France, des inégalités territoriales s’expriment également dans ce contexte par une exposition disproportionnée des populations aux conséquences de l’épidémie. Début avril, le directeur de la Santé annonçait un « excès de mortalité exceptionnel » en Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre de France.
Parmi les raisons que nous imaginons : les conditions de logement (appartements trop petits, exposition aux marchands de sommeil, foyers de travailleurs bondés, bidonvilles) ont fait flamber la propagation du virus. Dans ce département, il y a aussi moins de soignants et moins de lits en réanimation que dans les départements voisins. En une semaine, le nombre de décès y a bondi de 63 %.
Dans notre région des Hauts de France, bien que la population y soit en moyenne plus jeune qu’ailleurs, certains territoires comptent cependant un poids de personnes de 75 ans et plus bien au-delà de la moyenne nationale. Les bassins d’emploi frappés par les crises successives de désindustrialisation et les pollutions liées au passé régional industriel ont fragilisé la population de façon significative, autant sur le plan sanitaire (cancer, diabète, obésité) que social. Il convient donc de faire preuve d’une très grande prudence. Très peu de données sont aujourd’hui accessibles mais la paupérisation d’une partie de notre population nous fait craindre des conséquences plus lourdes, comparativement à d’autres régions.
Ainsi, les personnes vulnérables ne doivent pas être oubliées dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. Les familles isolées, sans-abri ou mal-logées sont autant de victimes potentielles et leur situation doit être prise en compte pour lutter efficacement contre le virus. L’État doit se mobiliser pleinement et accompagner l’action des associations !
Pour les plus fragiles, le non-accès à l’information, l’absence d’accès à l’eau et aux produits d’hygiène, déjà difficile en temps normal, est dramatique durant cette pandémie. Combattre le coronavirus suppose aussi de lutter contre les discriminations et les violences qui affectent ces familles et ces enfants. Le Covid-19 ne fait pas de discrimination, et pour l’endiguer, l’État ne doit pas en faire non plus.
Ces inégalités sociales ont-elles été prises en compte lors de la décision des mesures de confinement ? A l’évidence non, et sans retenue, on a stigmatisé les habitants des quartiers populaires, accusés de ne pas respecter les contraintes de distanciation sociale. Dans le même temps, des violences policières ont mis le feu aux poudres … Attention danger !
Au niveau international, le Président de la République a suggéré l’annulation immédiate des paiements de la dette des pays en développement pour une valeur de 1 000 milliards de dollars en 2020. Irrémédiablement, les pays concernés ne sauraient supporter ce poids supplémentaire pour se relever et gérer cette crise. Sans cela, les populations en souffriraient terriblement. Rappelons au passage que cette « dette odieuse » n’est pas le fait des peuples, et qu’elles ont été contractées par des pouvoirs autoritaires. Elle pourrait être remboursée à l’occasion de cette transition démocratique.
Au niveau national, pourquoi ne pas envisager la création d’impôts de solidarité d’urgence en taxant les bénéfices extraordinaires, les plus grandes fortunes, les produits financiers spéculatifs et les activités ayant un impact négatif sur l’environnement.
La France doit urgemment œuvrer à l’application d’une politique plus « juste et redistributive ». Les efforts doivent s’imposer aux plus forts et préserver les plus modestes : imposer davantage les grandes fortunes, instaurer une taxe sur les transactions, lutter plus efficacement contre l’évasion fiscale et enfin suspendre les versements de dividendes, rachats d’actions aux actionnaires ou des bonus aux grands patrons tant que durera la crise.
Une sortie de crise ne saurait être imaginée sans l’Union Européenne et sa Banque Centrale. La crise financière qui a sévi à partir d’août 2007 a nécessité une intervention sans précédent de la part des banques centrales partout dans le monde et notamment de la BCE.
Imaginons que chaque personne bénéficie d’au moins 450 € par mois comme ressource, hors travail, issu d’une redistribution plus équitable des richesses et du produit de la croissance sous la forme d’un revenu de base, ou dit universel. Un début de piste à nouveau d’actualité, à creuser pour l’avenir …
Sommes-nous prêts à vivre une crise sociale sans précédent sans y apporter une vraie solution économique et humaniste ?
Le Revenu Universel est-il la bonne solution à la lutte contre la pauvreté et la reprise de la croissance ?
Pourrions-nous envisager et profiter de cette crise unique pour changer de paradigmes ?
Combien les effets de la pauvreté coûte à notre société ? Ne serait-ce pas moins coûteux d’investir vers un nouvel modèle de société toujours plus solidaire ?