Humeur d’artiste #3 : Mélissandre Fortumeau
Mélissandre Fortumeau, Comédienne – Cie Avec Vue sur la Mer
Mélissandre Fortumeau intervient chaque semaine au collège Jean Rostand de Auchy-les-Hesdin dans le cadre de notre dispositif “Arts de la Scène au Collège”, dispositif soutenu par le Conseil départemental du Pas-de-Calais.
” Comment ne pas être nerveuse, inquiète et en colère comme de nombreux citoyen-nes aujourd’hui ?
Au moment où l’on me demande d’écrire ce billet d’humeur je suis confinée, j’ai la sale impression d’être punie, de ne pas pouvoir exercer mon métier alors que les théâtres respectaient tous un protocole sanitaire strict. Je suis considérée comme non-essentielle à la société. Alors que ce soit sur scène ou lors d’ateliers de pratiques artistiques en tant qu’artistes nous nous battons pourtant pour nourrir les âmes et les cerveaux ; on essaye d’interroger, de rêver et d’imaginer ensemble un monde plus ouvert et plus juste ! Alors il est temps de s’inquiéter dès lors qu’un gouvernement, qui plus est La France, ne considère plus l’art, la culture comme essentielle.
Et puis comme lors du 1er confinement il y a les partenaires qui soutiennent clairement et ceux qui se targuent de défendre des valeurs de solidarité, de fraternité et qui finalement baissent la tête vers leur nombril balbutiant quelques arguments purement égoïstes pour ne pas soutenir les artistes et accumuler leurs petits sous afin de mieux rayonner dans quelques temps !
Le monde de la culture est bel et bien fragilisé depuis le mois de mars… d’une part nous ne pouvons pas télétravailler, nous faisons du spectacle vivant qui se caractérise par ce moment unique de la rencontre entre le public et les artistes et d’autre part il devient difficile de se projeter avec tous ces annulations et reports, les pertes pour les Cies et les intermittents sont considérables, sans compter l’embouteillage de créations prévues sur la saison prochaine.
Coincée chez moi je regarde par la fenêtre l’automne tomber et je déplore ce contexte anxiogène tapissé d’incohérences auxquelles nous devons nous soumettre et toutes ces libertés qui peu à peu nous échappent.
Non il n’est absolument pas acceptable de sortir avec une attestation que ce soit pour aller travailler ou pour prendre l’air !
Non il n’est pas acceptable de ne pas pouvoir être conseillé par son libraire ou même d’acheter un livre au supermarché !
Non il n’est pas acceptable de voir l’hôpital public tomber en ruines !
Non il n’est pas acceptable de se faire violemment déloger de sa tente quand on n’a pas d’autres lieux où dormir !
Non il n’est pas acceptable de se faire tabasser pour sa couleur de peau !
Non il n’est pas acceptable de se faire harceler, agresser, violer ou tuer parce qu’on est une femme !
Il y a tant de raison de s’indigner ! Alors je rassemble ma colère et tente de la transformer en énergie créatrice pour le futur, de l’intégrer aux quelques répétitions qu’on m’autorise encore à faire ou encore de l’utiliser pour “agrandir les oreilles et les yeux” des quelques élèves auprès desquels je peux encore intervenir. Mais c’est une grosse boule dans le ventre qui ne demande qu’à exploser et je ne crois pas être la seule. A cette date mon seul atelier maintenu est celui des arts de la scène au collège à Auchy-les-Hesdin car il a la chance d’être réalisé en milieu scolaire, c’est aussi lui qui m’a aidé à tenir ce mois de novembre car lorsque je devine derrière les masques le bien-être et les sourires des élèves quelque part je redeviens essentielle, et quand en fin de séance ils me demandent s’il y a bien théâtre la semaine prochaine, je repars gonflée d’espoir pour l’avenir.”