Humeur d’artiste #2 : Clémentine Vanlerberghe
Clémentine Vanlerberghe, Danseuse, Chorégraphe, Artiste associée à la compagnie Cats and Snails.
Clémentine Vanlerberghe intervient (“en temps normal”) chaque semaine au Collège de la Gorce de Hucqueliers dans le cadre de notre dispositif “Arts de la Scène au Collège”, dispositif soutenu par le Conseil départemental du Pas-de-Calais.
“Je suis en colère. Je me l’autorise rarement, car à travers tous les privilèges dont je bénéficie, et notamment celui de pouvoir vivre de mon métier, celui pour lequel je travaille ardemment depuis mes 12 ans, je me dis que cela pourrait toujours être pire.
Or, aujourd’hui, j’ai l’amère sensation que c’est à cela qu’il peut ressembler, le pire. Les théâtres, et les centres culturels sont fermés au public, nous pouvons y faire des répétitions, mais nous ne pouvons rien y présenter. « Spoiler alert » : depuis mars, il est encore plus clair pour moi que je fais ce métier pour partager avec un public.
Non, merci, vous ne me ferez pas avaler que le streaming remplace la salle de spectacle. J’ai le souvenir d’avoir regardé des pièces de danse sur Mezzo, la chaîne du câble, ou encore sur VHS en cours d’histoire de la danse, cela a toujours été un pis-aller. Et cela signifiait qu’on avait « raté » cette pièce, soit parce que c’était trop loin, à Paris par exemple, ou qu’on était trop jeunes pour l’avoir vue.
Nous pouvons aussi continuer à rencontrer les publics à travers l’Education Artistique et Culturelle, quand on nous y autorise encore (il paraît que c’est fortement recommandé).
« Normalement » (quand est-ce que c’est la normalité déjà?) j’interviens au Collège Gabriel de la Gorce à Hucqueliers, mais en ce moment ce n’est pas possible. Tristesse plutôt que colère.
Heureusement pour mon mental, j’ai un autre projet en cours alors je rencontre pendant ce deuxième confinement (magie!) de tous jeunes enfants timides en crèche, et des collégiens foufous ; et je suis ravie de voir leur corps mis en mouvement, les voir ivres de la danse qu’ils viennent de s’autoriser. Je me surprends à les observer simplement rire, se regarder les yeux dans les yeux. Je me rappelle alors combien c’est précieux. Et malgré le masque, malgré les distances entre nous, nous partageons cet espace ensemble, c’est encore possible.
Mais… je suis en colère, car la situation sanitaire, c’est évidemment bien plus que des spectacles qui ne peuvent avoir lieu. C’est la précarité et l’autoritarisme qui avancent.
Mais trop tard, ça y est, je le sens, je suis en train de vouloir défendre mon bout de gras, le « eh oh et moi ? » : je me sens en tant qu’artiste le bout de la chaîne, celle pour qui on décide sans que j’ai mon mot à dire, celle qu’on appelle seulement quand toutes les conditions sont réunies, celle qui n’est pas essentielle. Alors, je fais quoi ? Je me plains ? D’avoir l’impression que nous sommes confinés chacun de notre côté, à tenter de nous dépêtrer de ce que la crise nous fait ?
Je suis en colère mais je n’ai pas peur, pas encore. Quand nous sommes ensemble c’est si beau.”